Notre quête de résidence bolivienne a débuté par une file de 200 mètres. Comme pour tout le monde, les Brésiliens, Colombiens, Péruviens,... Comme pour les Mennonites, descendants d'une secte d'immigrants européenens endogames qui vivent depuis plusieurs siècles dans de petites communautés en rupture avec le monde extérieur, et se détachent du décor Crucenien par la blancheur de leur peau, la clarté des cheveus, leurs robes à carreaux, fichus, chapeau et pantalons "petite maison dans la prairie". Alors que la file s'allonge encore, les plus nantis des candidats au voyage se dérobent à la règle en rachetant les premières places à d'autres dont le travail est d'attendre là de 4 ou 5 heures jusque 8 heures. Si nous ne pouvons nier notre appartenance partielle à la catégorie privilégiée, nous avons bien entendu commencé avec Julien notre tournée des administrations boliviennes par cette lente procession entourée de marchands de cuñapés, jus, café, hamburgers, salsichas, empanadas de queso, et parcourue de policiers obsédés par l'alignement et écartant les bagareurs. Le rythme était fixé. Les errements pouvaient commencer.
Lors de certaines des 10 demi journées gaspillées, nous nous sommes soumis aux analyses de sang, avons fait jurer Interpol que notre pays n'avait rien a nous reprocher, avons posé pour les archives d'etat. Mais la plupart du temps, nous apportions une déclaration d'avocat, certifiée par notaire, autorisant la délivrance d'un autre formulaire permettant la réalisation de je ne sais quel acte capital des arcanes de la bureaucratie bolivienne, où la maxime procédurière du "no me toca" [1] autorise un fonctionnaire à regarder dans l'inction totale les files qui s'allongent au guichet voisin, sans y voir rien d'autre qu'une file au gichet voisin.
Ma volonté de transcription "presque" totale de la vérité m'oblige à la nuance suivante. Ces heures perdues ne sont pas une fatailité. Un billet, vert de préférence, glissé entre les bonnes feuilles ou les bonnes mains, accélère fortement le traitement du dossier. Lorsque la police m'arrête sur mon trajet au chantier, me repprochant à raison mon permis de conduire belge, je ne peux que payer les 30 Bol (3$) négociés, et qui m'évitent d'acheter le permis internationnal de 170$. Mais dans ces bureaux, les relents de mauvaise gestion étaient trop forts. Nous avons donc économisé les dollars, et dépensé les heures, refusant même de payer des chocolats à une guichetière qui menacait de prendre sa pause juste avant nous si nous n'accédions pas à son envie sucrée. Elle est donc partie. J'ai été la rechercher, lui disant avec fermeté devant ses collègues que je n'étais pas d'accord avec ses paroles précédentes. En leur présence, elle a nié mes paroles et est venue poser le cachet nécessaire au passage au guichet suivant. Si j'avais eu moins de chance, ils auraient fait semblant de rien, mais il semble qu'il y ait eu un soupcon d'intégrité.
Il y eut encore par la suite, un déménagement où nous avons cherché nos passeports dans des caisses où ils n'etaient pas, un petit chef de bureau qu'il a fallu ennuyer et beaucoup contrarier pour qu'il fasse signer à son chef l'ultime document, et des dizaines de fonctionnaires, intensément chefs de quelque chose, et sûrs de leur fine connaissance formaliste à défaut de leur rôle.
Il y eut d'autres attentes, pour nous et les autres "expatriés". La situation était exagérée même pour les Boliviens. Une chaine télévisée de l'opposition de droite est un jour venue faire un reportage sur le lieux de galère administrative. La journaliste grande et blonde qui est venue vers moi recherchait aussi des étrangers aidant le développement bolivien, mais qui en étaient empêchés. En ces moments de guerre politique, j'ai refusé quelques instants de célébrité médiatique qui me tendaient les bras, et plus sérieusement, refusé de me faire instrumentaliser aux fins politiques d'une télévision "pétroléeuse". Tout comme j'ai laissé tomber la dernière étape des tractations administratives pour obtenir la résidence d'un an. Sans être tout à fait illégal, je suis donc fraudeur en Bolivie... Ca me rend probablement plus Bolivien que leur papier.
[1] : Ca ne me (touche) concerne pas.