Après deux mois dans l'enceinte NPH, je veux sacrifier quelques lignes au rituel journalier qui est si quotidien et ébaucher les balises de la norme qui régirait une journée tyique sans les aléas enfantins.
Du lundi au vendredi, les enfants et les tios qui en sont directement chargés se lèvent vers 5h00, toujours en musique et parfois de bonne humeur, se lavent et s'acquittent de leurs "oficios". Selon les groupes et les semaines, il s'agit de préparer le déjeuner, nettoyer les dortoirs, les baños, les communs et les alentours de la casa. Au déjeuner de 6h30 succèdent coups d'éponges et de balais, et le départ des 35 écoliers vers 7h15, en deux, ou plus rarement un voyage de la petite camionette Toyota Hiace. Sortant tout propre de mon cuarto, j'en profite pour les saluer.
Bien que les 10 plus jeunes restent à la "maison" les matinées d'ecole constituent le niveau minima de bruit à NPH et sont donc les plus propices au travail. J'en profite pour téléphonner et débrouiller les noueds les plus emmêlées. Les sujets ne manquent pas; outre que les normes internationales que nous suivons paraîssent... étrangères aux méthodes boliviennes, il semblerait aux dires d'un Cruceñien "qu'il n'est pas possible d'être ici à la fois professionnel et honnête". Je modulerais en écrivant que le désorde règne, que l'intérêt personnel commande souvent, que l'approximation prédomine, même chez les ingénieurs en structure, et qu'une parole s'interprête. En un mot, le moins plausible est souvent le plus probable.
Au milieu de ce souk, je m'offrais chaque jour jusqu'il y a peu une pause pour intégrer Juan Manuel (que quelques tios appellent maintenant mon "hijo", un peu contre mon gré) à la communauté des bipèdes (et des acrobates). Aujourd'hui, à ma grande joie et au désaroi de la "tia encargada", il marche, court, et promène ses gaffes dans toute la maison.
Le rythme change au retour de la camionette chargée de sa trentaine de petites têtes, vers 12h30, directement suivi de la douche et du rassemblement au comedor, opportunité de petites parlotes et de grands sermons. Après les nouveaux "oficios" et les devoirs, le foot commence vers 16h00, avec les tios qui en ont le temps, et surtout l'énergie pour encarder ces joueurs miniatures qui crient "Caramba" ou "Ñee Chii" sur les belles actions, s'élancent dans nos jambes mais nous grondent d'un "Oh! tio, tranquilo!" si l'on shoote trop fort. C'est également l´heure où les niños pululent dans le bureau que je partge avec German, le jeune directeur ancien niño de NPH. Ils quémandent la musique de nos portables, zonent et m'ont demandé un jour où je corrigeais un plan si après avoir terminé tous ces dessins, j'allais me mettre à travailler. Ils se douchent ensuite et encore, et nous soupons (je fais l'impasse lorsqu'il s'agit des ignobles gâteaux de banane cuite et viande, incompatibles au palais occidental) et portons les plus jeunes, endormis dans leurs assiettes rejoindre leurs rêves ou leurs angoisses vers 19h30. Les autres suivent... après les oficios. Les soirées qui ne sont pas consacrées aux réunions ou à une fête particulière sont d'ordinaire calmes.
Les week-ends sont bivalents : deux fois par mois, nous restons à la casa (n'ayant pas d'obligations horaires, je reste cependant pour aider la demi-équipe), "conviviendo", organisant avec Julien certaines activités spéciales. Le "tio brujo" que je suis devenu les troublant de tours de magies et sorts auxquels ils veulent bien croire, parmi lesquels le préféré de mes sortilège qui fait, au moment même du geste, s'illuminer un sourire sur le visage du môme.
Les fins de semaine impaires sont une respiration en dehors de l'ambiance un peu étouffante qui pourtant ne nous empêche pas de voyager ensemble, dans la selva par exemple, avec "tio Julian", mon compagnon de cuarto, par hasard Belge et dont j'écrirais bien qu'il est vraiment très bien pour les gosses, agréable et "divertido"... si j'etais sûr qu'il n'attrappe pas la grosse tête en lisant le texte ;-). Judith, une Autrichienne qui m'emboîte parfois le pas sur les sentiers de la sorcellerie infantine, nous accompagne de temps à autre. Nous nous séparons généralement des deux autres volontaires du même tour, un peu vindicatives et rigides à notre goût. La tia bolivienne au calendrier identique visite bien entendu sa famille. Les possibilités de rencontre durant ces jours libres sont variables, et dépendent de l'état de fatigue avec laquelle nous atteignons ces clairières bi-mensuelles.
C'est l'occasion de déconnecter pour repartir à l'assaut d'une autre douzaine de jours, d'une autre douzaine de nuits, d'une quarantaine de voix connues, d'une centaine de problèmes et d'une myriade de sourires.