dimanche, avril 23, 2006

Potosi et Musique - Son et notion de temps

Le 4*4 vers Uyuni vibrait de toute sa mécanique, gémissant cliquetis et craquements lorsqu'une voix potosiene, la premiere, nous a interpelés. Avec ses deux grands yeux noirs, Luis, 34 ans, Bolivien ramassé, intercalé en quinconce dans une rangée d'épaules face à nous, nous a demandé notre destination après Uyuni. Au nom de Potosi, il s'est proposé de se faire notre guide quand nous atteindrions sa ville. La ville de galeries ou les forcats d'une autre époque s'esquintent sur la roche résonnant de chants centenaires. Ville à flanc de montagne, la plus haute du monde comptant 100 000 habitants, à 4100m, là où "el sol te quema, pero no calienta nada". Aux rues escarpées emplies de collégiens aux uniformes se déclinant du tablier blanc au training jaune-bleu-argent en passant par les gilets de laine d'alpaga.

Le premier midi de notre arrivée dans le berceau du charango (petite guitare à 10 cordes), et une demi heure après notre appel, Luis était au rendez-vous, portable à la ceinture et accompagné de Christian, guitariste. Suivant cette moitié de groupe de rock aux reprises des seventies et eighties, à la recherche d'un chanteur "à la voix non bolivienne", nous sommes allés découvrir la bière locale et surtout, en dehors du centre, la Kalapurka, soupe à base de farine de mais et de morceaux de boeuf, servie dans une assiette de terre cuite avec une pierre de lave bouillante immergée.

Autour de ce plat bouillonnat, notre bassiste et technicien dentiste aux horaires nocturnes nous apprend sa future paternité. Avec un sourire complice, Christian nous murmure que le seul prénom envisagé est masculin, "Gene", en reference à une idole et bien que le sexe de l'enfant ne soit pas connu. Après le repas, un chauffeur de taxi ivre engueule Luis, lui reprochant de converser avec des Gringos aux dépends de la Bolivie et de Potosi.

Dans cette ville vit aussi Arnaud Gerard, "Don Arnaud" pour Christian, son ancien élève. Ce Belge de 50 ans a quitté notre pays à 18 ans car son père architecte en faillite ne pouvait pas lui payer ses études et les bourses d'alors lui étaient inaccessibles. Musicien andin a Bruxelles, il suivit les encouragements de ses compagnons boliviens et tenta sa chance a l'université de Potosi. Devenu professeur de physique et physique appliquee à la musique, il nous parle avec passion des recherches (qui ont l'air captivantes) qu'il mène dans sa maison-atelier-laboratoire sur les instruments locaux à demi oubliés, comme la tarka, instrument aux notes impures et à la forme de pied de chaise.

Le soir, nous chatouillons les quenas et claviers chez Christian et recevons un cours de musiques traditionnelles. Dans cette ville où les vehicules claxonnent nerveusement pour annoncer leur arrivée aux carrefours, pour saluer un ami, pour éloigner les piétons, une ambiance de musique m'a paru planer... Jusqu'à la derniere apparition de Luis que nous avions salué la veille et après plusieurs rendez-vous ratés à cause de la santé de sa femme, qui a sauté dans notre bus sur le départ, cadeaux en mains, pour nous dire adieu sur son dernier contre-temps.